Et non, le safran n’est pas qu’une épice exotique ! Elle a même été cultivée en France pendant des siècles avant de tomber dans l’oubli. Depuis une dizaine d’année, la culture du safran revit dans notre pays grâce à plusieurs producteurs locaux. Suite à la saison 1 du podcast, Emilie nous emmène cet automne en Maurienne. Dans sa minisérie “De Grenoble à l’Orgère”, podcast du Camp de base, elle part à la rencontre des safraniers en Maurienne, dans l’épisode n°2. Je m’appuie donc sur cette rencontre sonore pour vous faire découvrir une culture ancrée dans l’histoire de la vallée de la Maurienne : celle du crocus sativus.

En vallée de la Maurienne : une richesse patrimoniale
La vallée de la Maurienne se trouve au sud de la Savoie. Longue de 120 km, elle s’étend entre l’Italie et les Hautes-Alpes. La Maurienne est bordée au nord par le grand massif de la Vanoise et les chaînes de la Lauzière et du Grand Arc, et au sud par le massif du Mont-Cenis, des Cerces, des Arves, des Grandes Rousses et de Belledonne. Entre cols mythiques et stations de ski, elle est un terrain de jeux plébiscité pour le vélo et le ski. Le parc national de la Vanoise est le lieu touristique principale de la vallée l’été pour s’adonner à la randonnée. C’est sans compter ces sites naturels intactes et ses grands espaces sauvages.
Et la Maurienne recèle d’autres trésors plus méconnus. Au nord, la haute-Maurienne recèle une vallée d’art, d’histoire et de traditions avec des villages authentiques. Les noms de Valloire, Bonneval sur arc ou Bessans vous disent-ils quelque chose ? La vallée est aussi le lieu de l’art baroque très présent notamment dans les églises et chapelles. Cette prévalence a valu à la Maurienne le label « Villes et Pays d’Art et d’Histoire ».
Plus au sud, St Jean de Maurienne, cité épiscopale et capitale historique de la Maurienne. Et le patrimoine n’oublie pas également la gastronomie. La star, c’est le Beaufort. Mais moins connu et pourtant d’une grande richesse, le safran fait son retour en Maurienne. On sait, aujourd’hui, grâce à des écrits que la culture du safran est ancrée dans l’histoire de ce territoire. Après plus d’un siècle de disparition, aux portes de la Maurienne, l’or rouge est réimplanté sur les communes de Saint Julien Montdenis et Albiez-le-vieux.

Un peu d’histoire…
D’où vient le safran ? Le nom botanique de cette plante est Crocus sativus, du grec « krokos », qui signifie filament, allusion aux stigmates longs et fins… Elle est originaire de la Grèce orientale où elle y était cultivée depuis 1500 avant J-C. Son introduction en France est mal connue. On pense qu’elle serait arrivée en Provence vers 600 avant J-C par les Phocéens.
“Safran” vient du Perse “za’farân” qui signifie” jaune”. Son nom a donc pour origine la couleur obtenue par la teinture végétale qu’on en extrait.
Du Moyen-Âge au XIXème siècle, la France était un gros producteur mondial avec environs 30 tonnes de récolte par an. Elle expédiait vers toute l’Europe et jusqu’aux Indes cette récolte. La production était concentrée dans le Gâtinais, entre Pithiviers et Montargis. Durant les grandes épidémies de peste noire qui ravagèrent l’Europe de 1347 à 1350, la demande fut très forte, les malades recherchant le safran dans l’espoir de guérir. Mais l’arrivée d’hiver très froid vers 1880, l’exode rural et la fabrication de colorant de synthèse firent disparaitre la production.
Aujourd’hui, on retrouve des safraniers dans plusieurs départements français mais la production reste peu significative. Et le premier producteur mondial est l’Iran suivi de l’Espagne et de l’Inde.

Les légendes du Crocus
Krokos, dans la mythologie Grec, jouait avec son ami, le dieu Hermès, au lancer de disque. Il reçut accidentellement un coup au front qui provoqua une blessure mortelle. Le sang qui coula de sa blessure tomba au sol et le fertilisa. A cette même place, naquit une fleur mauve dont les trois stigmates rouges symbolisent désormais pour les Grecs la résurrection et la puissance vitale. La fleur de crocus.
Dans la mythologie romaine, le safran serait né de l’étreinte charnelle entre Jupiter et Junon. D’où les propriétés aphrodisiaques qu’on lui attribue.
Fleur de couleur et de santé
Le Safran est à la fois un colorant et une épice utilisée en pharmacopée, art culinaire, teinture textile et corporelle…
Il semblerait que depuis la nuit des temps, le safran était utilisé comme colorant. Les stigmates du safran produisent une lumineuse couleur jaune. Plus la quantité de safran est importante, plus la couleur du tissu tend vers le rouge.
Dans le papyrus d’Ebers, qui est le plus ancien traité médical connu datant de 1550 avant Jésus-Christ, le safran est mentionné dans plus de 30 préparations médicinales. Les grecs et les romains connaissaient bien le safran et l’utilisaient fréquemment pour ses multiples vertus. Ses propriétés stimulantes, digestives, antispasmodiques et euphorisantes ont souvent été citées par Homère et Hippocrate.
Cléopâtre se servait du safran, à cause de ses propriétés cosmétiques, aphrodisiaques et à ses qualités de colorants. Avec, elle fabriqua la première véritable eau de toilette : le Kyphi. De façon générale, le safran a la réputation d’agir sur le système nerveux : il serait à la fois analgésique et tonique.
Ce remède précieux est transmis de siècle en siècle comme le rappelle cette citation latine : « confortare crocus dicatur laetificando et partes lascas firmare, hepare reparando » que l’on peut traduire par « le safran réconforte, il excite la joie, raffermit tout viscère, et répare le foie. ». Des études cliniques récentes ont montré qu’il avait un pouvoir antidépresseur. Actuellement, il est utilisé en homéopathie.
Le safran infusé dans le thé serait également un produit aphrodisiaque, augmentant la sensibilité et le désir de la femme et multipliant la vitalité et la virilité de l’homme !
La culture du safran
Le safran est surnommé l’or rouge car sa culture nécessite beaucoup de soin : tout est fait à la main, de la plantation à la récolte. C’est une épice rare et chère qui est obtenu en séchant une partie des pistils du Crocus sativus, qui n’existe pas à l’état sauvage. Pour obtenir 1 kilo de Safran, il faut entre 150 000 et 200 000 fleurs, récoltées et préparées à la main. Ce qui explique que c’est le produit culinaire le plus cher au monde.
Souvent associé à la cuisine du midi, on pense généralement que le safran est cultivé uniquement dans les pays méditerranéens.
Mais sa culture prospère aussi bien dans des pays tempérés que dans des pays plus humides ou froids et même en altitude. Précipitations au printemps, été chaud, hiver froid, cette fleur rustique et vivace peut supporter des températures allant jusqu’à -15°c. Ce qui en fait une plante particulièrement bien adaptée au milieu montagnard, donc à la Maurienne. Et non, la neige n’est pas mauvaise pour la safranière. C’est un excellent isolant qui protège les bulbes des gelées.
La plante est pérenne mais la safraneraie nécessite d’être renouvelée tous les 4 à 5 ans. Les bulbes sont alors divisés en deux et replantés.
Une plante à floraison automnale
Le safran ne fait pas comme tout le monde : à l’automne quand tous les autres végétaux s’éteignent, le safran commence sa floraison. C’est pourquoi, on plante le bulbe au début de l’été, entre le 14 Juillet et le 15 Août. Dès les premières pluies automnales quand les températures rafraichissent, les racines poussent puis, la fleur sort de terre.
C’est alors le moment de la récolte, qui peut s’étaler sur plusieurs semaines entre début octobre et début novembre. L’instant magique très attendu des safraniers. Au petit matin, les fleurs sont récoltées avant l’arrivée des chaleurs du jour et avant leur ouverture afin d’éviter la fanaison des stigmates. C’est une opération longue et délicate qui nécessite une main-d’œuvre importante. La fleur meure en 48h.
S’ensuit l’émondage, qui a lieu très rapidement, souvent le jour même, à la suite de la récolte. Cela consiste à couper les stigmates rouges, et à jeter la fleur. Pour l’émondage, on peut utiliser aussi bien les ongles que de petits outils tels que ciseau ou pince à épiler.
Puis les stigmates sont séchés très lentement à basse température. Le séchage permet d’assurer la conservation du safran et l’expression des arômes. Au cours de ce traitement, il perd les 4/5 de son eau. Cette opération est très importante et délicate. Le safran sec est ensuite conservé dans un petit récipient hermétique à l’abri de la lumière.

Gastronomie et safran
En art culinaire, le safran a trois propriétés : le pouvoir colorant, l’arôme et la saveur. C’est lors d’un séchage lent et doux que l’arôme du safran se développe.
En France, le safran est connu dans la bouillabaisse, la soupe de poisson et sa rouille, mets auxquels il communique une belle couleur jaune d’or. La paella espagnole, le risotto italien, le thé et nombreux plats indiens sont des plats également bien connus qui contiennent cette épice.
Et saviez-vous que La grande chartreuse jaune, liqueur traditionnelle composée par les moines de la Grande Chartreuse selon une formule largement secrète, contient un peu de safran ?
Il existerait également en Maurienne une recette typique et traditionnelle dans laquelle le safran est utilisé : le farçon de Savoie…

Le Domaine des Hurtières à St Pierre de Belleville dans la Maurienne
Aux portes de la Maurienne, entre la chaine de Belledonne et celle de la Lauzière, Cécile et Gérard Berlioz lancent pour la première fois la production de crocus sativus en 2011. C’est sur le domaine familial de Gérard, ancienne ferme où étaient cultivé le tabac et la vigne, que naît le projet familial de ce couple de savoyard pur souche. L’idée de l’implantation du safran leur permet ainsi de reprendre l’exploitation existante afin de mettre en valeur le territoire agricole.
Depuis 2011, chaque automne, c’est plus de 10 000 bulbes qui fleurissent sous les yeux émerveillés de la famille Berlioz. C’est donc tout naturellement ensemble, que début octobre, le couple et leurs deux enfants s’adonnent à l’art délicat de la cueillette du crocus. La safraneraie est en agriculture biologique. La culture se fait dans le plus grand respect de la plante et de la terre car le domaine produit un safran bio labélisé ECOCERT.
Et en cette année 2022, la transmission à la nouvelle génération est faite. C’est maintenant autour de leur fille Nelly de reprendre la safraneraie familiale.
Alors si vous passez en Maurienne en octobre, faites une halte au domaine des Hurtières pour participer à la cueillette du safran et au travail de la fleur avec Nelly et son équipe ! Et pour pousser la curiosité, goûtez un plat typique à la saveur safranée dans un des restaurants savoyards, client du domaine des Hurtières.
Article rédigé par Sarah Mougenot.
Références – pour aller plus loin
La culture du safran, ENS Lyon
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