Glaciers alpins : rencontre avec Delphine Six

les glaciers pour comprendre le climat et le futur de notre planète

Delphine Six est glaciologue : elle étudie les glaciers alpins à l’IGE, l’Institut des Géosciences et de l’Environnement. Elle est aussi la référente française pour le World Glacier Monitoring Service. C’est la première invitée de la deuxième saison du Camp de base, lancée le 16 janvier 2023. Ensemble, nous avons évoqué les glaciers et ses méthodes, mais aussi l’histoire de la glaciologie et le devenir de sa discipline avec le changement climatique. Retrouvez l’épisode de podcast en cliquant sur ce lien !

*Cet article est la retranscription de notre entretien. N’hésitez pas à regarder le sommaire pour aller lire directement les réponses aux questions qui vous intéressent. 

Delphine Six, glaciologue à l'IGE, invitée du Camp de base podcast pour parler de l'histoire de la glaciologie et du climat des Alpes

Bonne lecture !

Sommaire 

Quel est ton Camp de base ?

Emilie Wadelle – Le Camp de base

Alors tu ne vas pas couper à la question que je pose à chacun et chacune des invité-e-s du Camp de base. Quel est ton massif à toi, ton camp de base ? Pourquoi ? Et qu’est ce qu’on y trouve ?

Delphine Six – glaciologue à l’IGE

Et bien finalement, je vais peut être te surprendre, mais pour moi, mon camp de base ça va être Grenoble. Parce que Grenoble c’est l’accès à d’autres camps de base, d’autres massifs et à tous les massifs. Et comme je travaille dans plusieurs massifs des Alpes, en choisir un c’est compliqué, même si y en a que j’aime plus que d’autres. Alors du coup, je vais dire Grenoble. Et puis finalement on est déjà un peu au dessus du niveau de la mer.

EW

Je suis surprise parce que c’est la première fois qu’on me fait le coup et c’est très bien.

Delphine Six

Pour une montagnarde de dire aussi qu’elle aime sa vallée ?

EW

Oui, c’est important finalement de voir aussi que, en fait, il ne faut pas diaboliser l’urbain.

Delphine Six

Je pense que sincèrement, on a cette chance de vivre dans un environnement exceptionnel dans Grenoble. Je trouve que l’accès à tous les massifs est extrêmement aisé, en tout cas tous les massifs alpins. Et donc voilà, mon camp de base à moi, c’est Grenoble.

EW

Et est ce que tu pourrais décrire alors Grenoble pour quelqu’un qui n’y habite pas et qui ne connaît pas cette ville ?

Delphine Six

Pour certains c’est probablement le manque d’horizon parce que c’est rare de voir le soleil se lever, se coucher sur Grenoble, ce qui est assez surprenant pour eux. Quand on arrive, on est complètement entouré de montagnes et de trois massifs très différents : le Vercors, la Chartreuse et Belledonne. Mais dès qu’on monte un petit peu, c’est très urbanisé, mais il y a aussi beaucoup de verdure avec toute cette vallée du Grésivaudan, de l’Isère et tous ces massifs autour. Et là aujourd’hui avec des couleurs d’automne comme on a, je trouve que c’est une ville absolument magnifique, très vivante, très étudiante. Et puis le décor est juste sublime.

EW

Et est ce que toi t’as passé de ton enfance à Grenoble ?

Delphine Six

J’ai passé mon enfance à Lille dans les plaines du Nord que j’aime aussi d’ailleurs. Mais je suis arrivée très tôt à Grenoble où j’ai passé mon enfance, mes études universitaires, donc je suis un presque pur produit grenoblois.

Quels sont les objectifs de l’IGE, l’Institut des Géosciences et de l’Environnement ?

EW

Tu es chercheuse à l’Institut des géosciences et de l’Environnement à l’Université Grenoble Alpes, qui dépend aussi du CNRS. Est ce que tu peux me raconter quels sont les objectifs du laboratoire ?

Delphine Six

C’est vraiment comprendre l’ensemble de la machine climatique. Donc on travaille à la fois sur l’atmosphère, on travaille sur les océans, on travaille sur tout ce qu’on appelle la biosphère, c’est à dire la partie gelée de notre planète, donc les glaciers, la neige, les calottes polaires. On travaille aussi un peu sur des aspects comme la pollution. On essaye aussi de comprendre les sécheresses dans certains pays comme l’Afrique. Le laboratoire, il a cette spécificité de travailler sur beaucoup de terrains du monde très variés, qui vont de la sécheresse en Afrique aux grands glaciers du pôle Sud. On est bien sûr sur les petits glaciers de montagne, les glaciers de notre région et on essaye de comprendre le fonctionnement de toute cette machine climatique. Notre objectif en tout cas c’est d’essayer de prévoir quel va être le futur de notre planète.

Quelles sont les différences entre « la météo » et « le climat » ?

EW

Tu as dit un mot hyper important, c’est le mot « climat. » Il y a beaucoup de climatosceptiques qui disent « il y a une vague de froid, regardez le climat ne changent pas! » Ils font un amalgame gênant entre ce qu’est la météo et ce qu’est le climat. Est-ce que toi, tu pourrais revenir sur ces notions qui me paraissent vraiment fondamentales dans ce qu’on va se dire par la suite ?

Delphine Six

Oui, bien sûr. On a tous une perception de la météo du jour ou de la veille. La semaine dernière on a eu froid à Grenoble, on a tous remis une doudoune. On est plutôt largement en T-shirt une semaine après, donc on a une variabilité naturelle de jour en jour. C’est ce qu’on appelle la météorologie. On a des dépressions qui arrivent, qui durent quatre, cinq, six jours dans notre région. En revanche, quand on parle de climat, c’est vraiment une notion de long terme, C’est à dire que le climat, qui est définit par l’Organisation météorologique mondiale, c’est vraiment une moyenne des 30 années de météorologie.

Et c’est vrai qu’avec notre perception, on entend tous dire « quand j’étais petit, il faisait plus froid, quand j’étais petit, il y avait plus de neige, l’année dernière, on a eu un été pourri. » Il faut vraiment distinguer le fait qu’il y a une variabilité qui est naturelle. Mais dans cette variabilité naturelle, de plus en plus, ce que l’on observe, c’est qu’effectivement on a de plus en plus d’été chaud, on a de plus en plus d’hivers, moins humide, donc moins enneigé. C’est une vérité. Ça ne peut vraiment se comprendre et s’analyser qu’en analysant des grandes séries de mesures et au minimum sur les 30 années qui font la définition du climat.

EW

Quelles sont les mesures que tu es amenée à observer en tant que glaciologue ?

Delphine Six

Alors nous, on a cette particularité de disposer d’un outil qui sont les glaciers pour essayer de comprendre et de décrypter le climat. On dit que les glaciers sont des icônes du changement climatique. On les voit vraiment évoluer. En tout cas dans nos montagnes, c’est très très prégnant. Et les glaciers, en fait, c’est un petit peu comme une grosse station météo.

Parce qu’un glacier, qu’est ce que c’est ? C’est de la neige qui va tomber pendant l’hiver et puis ensuite qui va se transformer en glace par tout un processus. Et ensuite, pendant l’été, cette neige et cette glace va fondre à cause de tout ce qui est lié à la température de l’air, à l’humidité de l’air, à la vitesse du vent, au rayonnement solaire. Donc finalement, un glacier, c’est comme une grosse station météo intégratrice de tout ce qui se passe à l’échelle de l’année. Et c’est pour ça que les glaciers, on les dit sentinelles du climat

Si on observe pendant des années, des décennies,… un glacier, on arrive à voir l’évolution du climat notamment dans des zones de haute montagne où il n’y a pas ou très peu de mesures conventionnelles météorologiques (par exemple Météo France bien sûr à des stations météorologiques, mais n’en a pas à si haute altitude) donc grâce aux glaciers on a quelque chose de très visuel, mais on a aussi tout un enregistrement, une fois qu’on comprend comment ils fonctionnent et ce qui se passe au niveau du climat de nos montagnes.

C’est quoi être glaciologue ?

EW

Toi, tu es glaciologue, comme je le disais juste avant. Alors moi, quand j’étais plus jeune, c’est le métier que je voulais faire et j’imaginais aller régulièrement faire des mesures avec mes peaux de phoques et c’est ça qui me fascinait dans ce métier. Finalement, je vois que c’est pas forcément ça, mais est ce que tu peux nous raconter un peu ton quotidien de glaciologue ?

Delphine Six

Il y a quand même une grosse partie qui est de la mesure. Pour l’instant, on a besoin encore des Hommes, même si les satellites nous aident beaucoup pour essayer d’avoir des visions un peu plus globales de ce qui se passe. Et puis ensuite, bien sûr, on revient avec nos mesures. 

Donc, il faut traiter les mesures, il faut les analyser, il faut ensuite essayer de comprendre. On entend très souvent « il fait chaud, les glaciers fondent. » Si c’était si simple, on serait peut être pas glaciologue depuis le début du siècle dernier, on aurait peut être tout vite compris. On ne sait pas tout encore sur eux. On fait de ce qu’on appelle de la recherche qu’on va ensuite publier à des communautés scientifiques, qu’on va communiquer évidemment au grand public

Donc on a toute une partie au bureau. Il y a aussi une partie « recherche de financement », puisque la recherche publique se fait en cherchant des financements, ça nous tombe pas tout cuit du ciel, donc on va passer beaucoup de temps, notamment à rédiger des projets scientifiques à différents organismes et ensuite à pouvoir justement faire des projets, des projets d’envergure, des projets de suivi des glaciers.

Histoire de la glaciologie

EW

Tu me parlais des glaciologues du début du siècle dernier, est ce que tu peux nous faire une histoire ? Est ce que ça fait longtemps qu’on étudie la glaciologie à l’université de Grenoble par exemple ?

Delphine Six

Mais c’est ici qu’est née la glaciologie en France. 

Si je commence par le début du siècle dernier, il y a une famille qui est très célèbre, qui était la famille Vallot, qui étaient frères et cousins, et les Vallot en fait avaient ceci de particulier que c’était une famille assez aisée. Ils n’avaient pas forcément besoin de travailler au sens où on l’entend aujourd’hui avec un salaire. Mais c’était des gens qui étaient passionnés à la fois par la science, par la nature et par les glaciers. 

La famille Vallot fait construire l’Observatoire Vallot qui est sur la route du Mont Blanc à 4400 mètres, juste sous le sommet du Mont Blanc. Et puis Joseph Vallot a été l’un des précurseurs parce que il avait compris que les glaciers évoluaient. D’ailleurs, on utilise toujours ses mesures, c’est ça qui est incroyable. 

C’est lui le premier qui a fait des mesures de déplacement du glacier. Donc très simplement, il peignait des pierres sur le glacier, notamment de la mer de Glace à Chamonix. Et puis chaque année, il venait mesurer la distance parcourue par ces pierres puisque les pierres se déplacent avec le glacier. Ils ont fait les premières cartes topographiques du massif du Mont Blanc.

Et puis ensuite, il y a eu un monsieur, Louis Lliboutry, qui a commencé beaucoup d’études en Amérique centrale, essentiellement dans les Andes, au Chili – notamment Centrale et Sud. Il était ici professeur de l’université et il a fondé le laboratoire de Géologie. A l’époque, il n’était pas du tout sur le campus de Grenoble. Le premier laboratoire de glaciologie s’appelait le Laboratoire de biologie des Cosmiques, il était au refuge des Cosmiques, au pied de L’aiguille du midi. Ensuite, il s’est dit que c’était plus simple de travailler à Chamonix, où il a créé un chalet et ensuite il s’est dit que c’était plus simple d’être à Grenoble pour avoir des étudiants, pour avoir d’autres chercheurs avec lui. Et il a écrit un magnifique traité de glaciologie en 1965, qui est encore la référence absolue : Le traité de Louis Lliboutry, Ce sont deux énormes volumessur toute glaciologie et comment fonctionnent les glaciers, la neige, etc. Ça fait toujours référence aujourd’hui.

De quoi est composé un glacier ?

EW

Incroyable ! Alors effectivement, les auditeurs et auditrices connaissent le refuge des Cosmiques puisqu’on a accueilli Mélanie Marcuzzi dans la première saison du podcast Camp de base. Est ce que tu peux revenir sur la composition d’un glacier ? Et finalement qu’est ce qui fait qu’il est vivant ?

Delphine Six

Alors un glacier c’est vivant : je sais pas si c’est vraiment le mot, mais en tout cas c’est quelque chose qui a une dynamique.

Un glacier, en fait, qu’est ce que c’est ? Ce n’est rien d’autre que de la neige. Finalement, tous les auditeurs qui ont fait un jour une boule de neige en serrant très fort la neige dans leur main ont commencé à créer un glacier. 

Un glacier, c’est de la neige qui va tomber très haut, soit en altitude, en latitude, c’est à dire plutôt vers l’est, vers les pôles. Et puis cette neige, d’année en année, elle va s’accumuler dans des régions où ça va relativement peu fondre. Et petit à petit, la neige, les beaux cristaux, là, de la Reine des Neiges vont commencer à s’arrondir. Petit à petit, vont se compacter, ils vont se transformer en glace. Et toute cette neige et cette glace, accumulée dans les zones hautes de nos montagnes, sous son propre poids, va s’écouler vers le haut, vers le bas. Elle va avoir sa propre dynamique. Et donc effectivement, si un jour on était un flocon de neige qu’on tombé dans nos dans nos autres régions de montagne, on se fait emporter par le glacier et on descend du coup la vallée avec lui.

EW

Quelles mesures relève t-on sur un glacier ?

Delphine Six

Il faut bien comprendre qu’on ne peut pas suivre tous les glaciers des Alpes

Donc on a créé ce qu’on appelle un Observatoire de suivi des glaciers où on a comme ça quelques glaciers qui sont suivis en routine, c’est à dire d’année en année, avec  les mêmes mesures de façon assez précise. 

On utilise beaucoup des images satellites pour compléter. 

Donc sur les glaciers où on travaille très précisément, on mesure des variables qui sont vraiment celles de la communauté scientifique du monde entier. Et c’est vraiment les variables, j’allais dire de base, dont on a besoin pour comprendre le fonctionnement d’un glacier. Ces variables sont la longueur du glacier. On a besoin de connaître les épaisseurs de glace que l’on a sous les pieds. On a besoin de connaître la vitesse de ces glaciers et on a besoin de connaître le gain ou la perte de masse, ce qu’on appelle le bilan. On fait le bilan du glacier chaque année. Dans l’hémisphère nord on va réaliser ces mesures du mois d’avril jusqu’au mois d’octobre.

En avril, on va mesurer toutes les hauteurs de neige qui sont tombées pendant l’hiver. Ça, ça nous donne finalement le gain de notre glacier à la fin de l’hiver. Et ensuite la neige évidemment, va commencer à fondre. Et puis la glace plus bas dans la vallée. Et donc on a tout un système de jalons qu’on insère dans le glacier et on en mesure comme ça la perte de mois en mois puisqu’on fait une mesure par mois sur ces quelques glaciers qui sont suivis. 

Quels sont les échanges de données des glaciers au sein de la communauté scientifique mondiale ?

EW

Si je comprends bien, vous avez une espèce de communauté de chercheurs glaciologues autour du monde. Comment est-ce que vous échangez ces données ?

Delphine Six

Alors il existe un organisme qui est mondial qui s’appelle le World Glacier Monitoring Service ou WMS. Ça dépend de l’Organisation météorologique mondiale de l’UNESCO. Chaque année, on se doit de diffuser nos données que l’on réalise sur ces glaciers à cet organisme, ce qui fait une base de données pour les chercheurs du monde entier qui est absolument exceptionnelle. Bien sûr, ces données, elles servent aussi pour notre propre recherche. Je suis la représentante française pour pour le WGM.

EW

Et qu’est ce que ça implique comme responsabilité ?

DS

Ça implique de réaliser les mesures régulièrement et de façon routinière. Il faut comprendre que ces mesures on doit tout le temps les réaliser. Il faut trouver des financements pour le faire. Il faut tout le temps aller sur le terrain. Là, on arrive aux dernières mesures de la saison avant que l’hiver arrive. La semaine dernière, il s’est mis à neiger, c’était le branle bas de combat parce qu’on n’a pas fini encore les dernières mesures. Donc il faut réorganiser tout le temps son planning, il faut se rendre disponible. Ça demande quand même beaucoup d’efforts physiques, ce qui est chouette, dans un environnement qui est exceptionnel. Encore une fois, je suis heureuse de mon travail. Mais il y a aussi beaucoup de contraintes parce que c’est tout le temps, chaque année, régulièrement de la même façon. Donc voilà, il faut que le matériel fonctionne, il faut que les gens soient disponibles,… Donc c’est toute une organisation à mettre en route.

Comment sont choisis les glaciers suivis au long cours ?

EW

Tu disais qu’il y avait des mesures qui étaient faites sur les glaciers. Comment est ce que les glaciers ont été choisis ? Vous avez regardé à peu près des glaciers différents ? Est ce que c’était par rapport à des départements et des découpages géographiques ? Comment ça s’est passé ?

DS

C’est une très, très bonne question. 

La première, j’allais dire qu’elle est historique. Je parlais de Vallot tout à l’heure, qui a commencé des premières mesures sur la mer de glace en 1890. Et la mer de glace, ça se justifie. C’est le plus grand glacier français. Donc on a continué sur cette lignée là. 

Ensuite, on a essayé effectivement de répartir des glaciers dans les différents massifs. Il faut bien savoir qu’il y en a 600 seulement des glaciers qui sont suivis de manière très détaillée. Pour avoir une information climatique, il n’y en a que six dans les Alpes françaises : la Mer de Glace et L’Argentière dans le massif du Mont Blanc. 

Ensuite, on a deux glaciers, presque plus qu’un hélas, puisqu’il y avait le fameux glacier de Sarenne, qui était vers l’Alpe d’Huez, mais il n’y a plus de glacier de Sarenne. Donc voilà, on arrête la série : il n’y a pratiquement plus rien comme glace, il a complètement disparu. Et puis son voisin tout proche qui est le glacier de Saint Sorlin, tout près du col de la Croix de Fer, qui est un endroit absolument magnifique. On a un glacier en Vanoise et puis un glacier dans les Écrins qui est le Glacier Blanc qui est l’un des plus emblématiques glacier du sud des Alpes. 

Donc on a un arc géographique Nord-Sud, on a des glaciers pas trop tourmentés, sur lesquels on a accès, on a des remontées mécaniques ou en tout cas des distances d’approche chez nous qui sont relativement faciles, comparé aux autres massifs qu’on suit au laboratoire comme l’Himalaya, où là c’est beaucoup plus compliqué pour s’y rendre.

Et puis on a un historique de mesures. En France – je pense que c’est un point qui est notable – on a les plus longues séries au monde. On se bat un peu avec les Suisses parce qu’ils ont de très longues séries de mesures mais en tout cas les plus longues séries de mesures documentées de façon aussi régulière avec autant de variables. On a cette chance d’avoir un échantillonnage de glaciers très très documenté.

EW

Et les images satellites dans tout ça ? 

DS

Les images satellites, il faut bien voir que ça ne date pas d’il y a 100 ans. Évidemment, on a des mesures qui sont beaucoup plus réduites, mais par contre on a une avancée technologique dans les capteurs depuis 20 ou 25 ans, qui est juste absolument prodigieuse. Aujourd’hui on est  capable de mesurer la longueur d’un glacier quasiment de façon annuelle avec un satellite. On est capable de voir ces variations de masse pratiquement à l’échelle de l’année. Ça commence à vraiment être de plus en plus précis. On est capable de mesurer les champs de vitesse, donc tout le déplacement des glaciers aussi de façon annuelle. Ça nous donne une spatialisation de ce qui se passe, par exemple à l’échelle des Alpes. Et évidemment on compare toujours avec les observations de terrain qu’on a, mais du coup ça nous donne vraiment une vue globale. Et d’ailleurs  avec la communauté mondiale, on travaille maintenant avec des satellites parce que si on veut prévoir l’évolution des glaciers, par exemple en termes d’élévation du niveau des mers, c’est pas cinq glaciers qui vont donner la réponse. Il faut vraiment avoir cette vision globale du monde, donc on insère un outil satellite dans nos observations.

Pourquoi les glaciers disparaissent ? 

EW

Je me posais une question ultra bête, mais j’en profite d’avoir un glaciologue sous la main. Les neiges éternelles tendent à ne plus l’être, donc les glaciers disparaissent. Quel est ou quelles sont les corrélations d’éléments qu’on peut donner à cette disparition ?

DS

Ça me permet de faire passer un petit message. Le mot « réchauffement climatique », je l’aime pas parce qu’il ne parle que de température. Finalement, quand on dit « réchauffement » forcément, la première chose à laquelle on pense est température. Or aujourd’hui, en fait, on est dans un changement climatique vraiment global et ce n’est pas qu’une question de température. Vraiment à l’échelle entière du monde, on le voit bien. Évidemment, le premier facteur qu’on arrive à suivre, mesurer, c’est la variable probablement la plus facile : c’est la température. Donc on parle beaucoup de ce réchauffement climatique, mais on voit bien que c’est un changement climatique global. C’est un changement à la fois de l’intensité de certaines dépressions, avec les phénomènes de sécheresse qui s’intensifient, les phénomènes de mousson qui s’accélèrent,… Donc on a tout un changement global. Et par exemple, pour te donner un espèce de contre exemple qui illustre ce que je viens de dire aujourd’hui, il y a une zone dans le monde où les glaciers prennent du volume : en Himalaya.

Ce qui se passe c’est qu’on a une intensification du régime des précipitations. On a bien vu au Pakistan au mois de septembre, il y a eu des inondations absolument énormes liées à ces régimes de mousson qui s’intensifient. Mais en fait, comme on est encore à des zones très, très élevées, en tout cas les glaciers de cette région du monde, le Pamir et le Karakorum, les glaciers sont très très haut et donc les précipitations tombent encore sous forme de neige et non pas sous forme de pluie. Et donc on a des quantités de neige beaucoup plus importantes. Et donc les glaciers ont tendance à prendre du volume et donc à grossir. C’est vraiment pour illustrer encore une fois qu’avec le changement climatique, il y a vraiment quelque chose qui est mondial à l’échelle de la planète.

Existe t-il des risques glaciaires avec la prise de volume ?

EW

Alors tu parlais du risque d’élévation des océans et des mers. Est ce qu’il y a des risques aussi quand un glacier prend du volume ?

DS

La question est elle peut être abordée par différents points. Un glacier qui prend du volume, souvent à tendance, comme il est plus lourd, à accélérer. Donc on peut avoir ce qu’on appelle des phénomènes de surge, c’est à dire d’avancée extrêmement rapide de ces glaciers. Et c’est ce qui se passe aujourd’hui, notamment sur les gros glaciers hémisphériques des calottes polaires au Groenland et en Antarctique. Et comme c’est des glaciers qui ensuite se jettent dans la mer, on a des quantités – d’icebergs et de glace qui est libérée dans l’océan – extrêmement importantes. Aujourd’hui, c’est vraiment un point sensible, vraiment un point crucial ,que l’on étudie, nous, sur ces grosses calottes polaires qui sont au pôle Nord et au pôle Sud.

Le changement climatique est-il plus rapide en montagne ?

EW

J’ai souvent entendu cet été que le changement climatique, il était beaucoup plus rapide en montagne. Est ce que tu peux nous expliquer pourquoi ?

DS

Le changement climatique, il est plus rapide vers les pôles. Si on regarde à l’échelle de la planète, c’est une certitude. Ce sont les pôles qui dégustent en premier. Chez nous, dans les régions de montagne, on a des phénomènes liés à ce qu’on appelle l’eurographie, les différentes altitudes. Ils ont ceci de particulier, par exemple que, il peut pleuvoir à Chamonix et pas à Grenoble, il peut neiger à Chamrousse et puis peut être pas vers Chambéry. On a des phénomènes qui sont très particuliers, qui sont vraiment liés effectivement à la présence des montagnes. 

Le réchauffement dans les Alpes il est vraiment aussi lié à l’influence de la Méditerranée. Et donc c’est pour ça qu’aujourd’hui nos Alpes françaises, elles ont tendance à se réchauffer et à se réchauffer vite parce qu’on est sous encore quand même une grosse influence du climat méditerranéen. Et c’est vrai que toute la région par exemple du Pô en Italie voit ces températures extrêmement augmenter et donc par effet collatéral. Les Alpes effectivement se réchauffent, se réchauffent relativement vite. Ce n’est pas forcément le cas de toutes les régions de montagne.

EW

Donc ça veut dire que quand on entend dans les médias que le réchauffement climatique se fait plus rapidement en montagne, il faut faire attention à ce qu’on lit. Les Alpes, effectivement, souffrent d’un climat avec un réchauffement plus rapide.

DS

Oui, exactement. Il faut bien différencier les saisons. C’est à dire que ce qui se passe à l’automne, au printemps, à l’été et en hiver, les taux de réchauffement, j’allais dire l’accélération de cette augmentation de température n’est pas du tout la même.  Par exemple, en 60 ans dans les Alpes, on prend à peu près – ce qui est énorme – 0,5 degré par décennie d’augmentation de température en été, ça fait pratiquement trois degrés d’augmentation en 60 ans, alors que l’automne c’est quasiment rien. 

Donc il faut vraiment différencier les saisons.

Les Pyrénées, certaines années par exemple, ont des taux de précipitations qui sont absolument importants, très très importants. Ils sont soumis au climat atlantique et donc là on a beaucoup de neige. Donc pareil, les gens disent « Ah bah dis donc, votre réchauffement climatique, vous avez vu la neige cet hiver ? » Donc voilà, c’est très particulier les zones de montagne. Et si on en revient encore une fois au glacier, ils ont ceci d’avoir l’avantage d’enregistrer à la fois la précipitation et à la fois tout ce qui se passe en été. Donc c’est pour ça que vraiment que ça nous fait une belle station météo intégratrice.

Le projet Ice memory 

EW

La fonte des glaces s’accélère. Un projet qui permet de collecter les carottes de glace et de les envoyer en Antarctique – qui est un milieu naturellement réfrigéré – en attendant que les techniques scientifiques évoluent et elles permettent d’en tirer encore plus de données. Est ce que tu peux nous parler un peu de ce projet ?

DS

C’est un projet de laboratoire et il est très symbolique, A l’image de ce que certains ont fait pour aller chercher des espèces de flores afin de sanctuariser un peu toutes ces espèces et essayer de les conserver pour les générations futures comme un herbier. 

Là, on fait un herbier de carottes. On ne peut pas le faire partout. L’idée c’est d’aller chercher des éléments de glace qui n’ont pas encore été impactés par le climat et de les garder pour se dire que peut être qu’un jour, effectivement, les scientifiquesauront d’autres technologies, auront d’autres idées, pourront détecter d’autres choses dans cette glace. Jusqu’à présent, il y a eu une carotte qui a été fait au Mont Blanc, alors pas sur le sommet du Mont-Blanc parce que le site est pas du tout adapté mais juste en dessous.

On en a fait une en Bolivie, donc à l’île Imani, il y en a une qui a été faite au Caucase. Il y a eu une tentative sur le Kilimandjaro et puis il y a d’autres projets ensuite en Himalaya. 

Actuellement, les carottes sont stockées à Grenoble et puis on va les emmener en Antarctique, à la base franco italienne de Dôme Concordia, pour essayer de les stocker à l’endroit où la température est encore extrêmement froide en moyenne annuelle et à moins 50.

Description de Dôme Concordia – Antarctique

EW

T’es déjà allée à Dôme Concordia ? C’est comment ? 

DS

C’est blanc. C’est très blanc, c’est très très particulier. l’Antarctique et le pôle Sud : c’est cette immense calotte de glace. l’Antarctique, c’est le continent de tous les extrêmes. Évidemment, c’est l’endroit le plus froid de la planète, c’est l’endroit le plus venté de la planète, en tous cas sur la côte, le plus sec de la planète, C’est le continent le plus élevé parce qu’on a cette immense calotte de glace sur des millions de kilomètres carrés. La base franco italienne elle est à plus de 3000 mètres d’altitude, mais c’est dans une rectiligne rectitude plaine blanche. C’est assez surprenant au milieu de ce continent antarctique, et tu n’y vois que du blanc, que du blanc, que du blanc.

EW

Et quand tu pars là bas, tu pars pour combien de temps ?

DS

Les saisons d’été, en général l’été austral, de novembre à février, donc entre trois et quatre mois.

EW

Ok, ça fait quand même beaucoup de temps.

DS

Oui oui oui, loin des familles. Là pour le coup, comme moi maintenant j’ai une petite famille, j’ai fait un petit break, donc je me concentre sur mes glaciers des Alpes. Je travaille aussi sur l’Himalaya avec des collègues là bas.

« Glaciers, forces et faiblesses » aux éditions Glénat

EW

Tu es aussi autrice puisqu’il y a une quinzaine d’années, tu as signé avec d’autres chercheurs, dont Christian Vincent « Glaciers, Forces et Faiblesses » chez Glénat. On y trouve notamment de très belles photographies. Est ce que tu peux me raconter cette histoire ? Comment on devient auteur comme ça ?

DS

Alors écoute, on avait été contacté par Glénat qui est de Grenoble, donc très sensible au milieu de la montagne et qui font des ouvrages vraiment magnifiques. On avait un collègue, celui qui a d’ailleurs fourni beaucoup, beaucoup de photos, qui était très en contact avec Glénat. C’est Patrick Vignon. C’est comme ça qu’on a été contacté et qu’on a pu rédiger cet ouvrage. 

L’idée, c’était vraiment de transmettre au travers de belles photos, un texte aussi qui ait du sens, qui ne soit pas qu’un descriptif de photos de montagne, mais qui permettent d’expliquer aussi ce que c’est qu’un glacier, pourquoi on les mesure, pourquoi on les suit, pourquoi ils sont intéressants, pourquoi quelque part, ils sont aussi une partie de l’avenir de notre planète. Parce qu’on le disait tout à l’heure des glaciers qui fondent, c’est de l’eau qui va à la mer. Donc potentiellement le niveau des mers qui augmente, c’est de la ressource en eau qui disparait pour beaucoup, beaucoup d’habitants sur cette planète, notamment dans les régions de Himalaya et d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud où les gens vivent de l’eau des glaciers.

De plus en plus c’est ce qui nous préoccupe dans notre métier de chercheur. Et on voit vraiment l’évolution de notre métier vers un métier un peu, j’allais dire « d’expertise ». C’est à dire que les glaciers potentiellement peuvent provoquer des risques naturels, des formations de lacs. Un glacier qui fond et qui se retire peut former des lacs à l’aval. C’est des chutes de séracs. La glace qui est normalement bien tenue à son socle rocheux. Puis elle se réchauffe, alors elle a tendance à se décrocher de son socle rocheux et donc à tomber.

Risques et glaciers : cas de Tête Rousse

EW

Les risques, c’était notamment le cas du Glacier de Tête aussi.

DS

Oui, tout à fait. C’est mon collègue Christian du coup, qui a vraiment été à l’initiative de l’alerte. C’est vraiment lui qui a alerté sur le fait que potentiellement, il y avait cette cette poche d’eau dans glacier. Et ça c’est le risque finalement qui est le plus compliqué. Parce que quand on se promène sur un glacier, personne n’est censé se dire tiens, il y a de l’eau, il y a une grosse poche d’eau, une grosse piscine là bas en dessous, c’est des choses qu’on ne voit pas et les objets satellites ne nous montrent pas. Voilà, donc il y a vraiment fallu tout une démarche par rapport à ça pour se dire qu’il y avait de l’eau, de l’eau sous pression et que potentiellement c’était dangereux. On a quelques cas comme ça de suivi de risques naturels.

EW

C’est quoi l’avenir de la glaciologie dans le contexte du réchauffement climatique actuel ? 

DS

Tu veux dire que je suis bientôt à la retraite ? (Rire)

Non, non mais je comprends tout à fait la question. Alors plusieurs choses et à différentes échelles si on regarde vraiment.

Pour la planète et pour ses habitants, on le sait, il y a deux énormes enjeux que sont le Groenland et l’Antarctique. Or c’est deux énormes calottes polaires, surtout l’Antarctique.  Il y a encore besoin de comprendre beaucoup de choses sur ces endroits là, qui sont très compliqués d’accès et auxquels on s’intéresse depuis peu d’années finalement. Donc on a peu de recul. Au laboratoire, il y a toute une équipe qui travaille sur sur l’Antarctique notamment, et qui s’intéresse à ces problématiques de ces énormes glaciers qui se posent sur la mer. On sait aujourd’hui qu’effectivement il faut s’intéresser à ces deux régions pour voir et essayer de comprendre et de simuler, de modéliser à quel moment effectivement on va basculer vers quelque chose d’irréversible.

Si on regarde nos glaciers des Alpes, on le sait, toutes les simulations et les modèles prédisent de toute façon la fin de la plupart des glaciers des Alpes d’ici la fin du siècle. Encore une fois, on en revient toujours à cette question du risque naturel : essayer de comprendre encore mieux leur fonctionnement pour essayer d’anticiper certains risques. Il y a moins de glaciers dans les Alpes, il y en aura de moins en moins. Donc on pourrait se dire qu’effectivement le travail de glaciologue alpin va aller de plus en plus en se réduisant. Mais il y a encore des choses à comprendre, il y a encore des choses à suivre. Et il y a ces deux énormes calottes dont on s’occupe évidemment déjà beaucoup et dont il faut continuer à s’occuper. Et puis je pense aussi que les glaciers de montagne de certaines régions, notamment de l’Himalaya, sont déjà sous surveillance, vont l’être de plus en plus parce que c’est vraiment une région avec des millions et des millions d’habitants qui vivent de ces glaciers.

EW

J’ai rencontré Caroline Riegel dans la première saison du Camp de base : il y a des régions dans lesquelles, si le fleuve n’est pas gelé, en fait, tu ne remontes pas dans la vallée.

DS

De toute façon, les gens sont vraiment très dépendants. Ils ont créé leur leur habitat, leur existence avec les glaciers, avec la neige, avec toutes les difficultés que ça amène, mais aussi tout le bénéfice que ça amène. Et on le voit aussi pour la ressource en eau : tous les grands fleuves : l’Indus, le Gange, … Ils sont tous des fleuves alimentés par l’eau de la fonte de la neige des glaciers, et des précipitations. Donc c’est extrêmement important pour toutes ces régions du monde, ça c’est sûr.

Changement climatique et climatoscepticisme : quelle réaction quand on est scientifique ?

EW

La question que je me pose, moi, c’est quand on est scientifiques comme ça et qu’on entend ce qui se passe dans les médias, le climatoscepticisme qui n’est pas unanime mais qui est quand même ambiant. Ça doit te rendre vraiment hyper mal à l’aise que tu dois te dire. En fait, moi c’est mon travail et du coup on me croit pas. C’est quoi ton rapport à ça en fait ?

DS

J’ai le sentiment que la jeunesse est quand même de plus en plus convaincue et s’engage énormément par rapport au climat. 

Évidemment qu’il y a des messages qui sont vraiment détestables et délétères et qu’on n’a pas du tout envie d’entendre. J’ai l’impression qu’on les entend encore moins. 

Je pense réellement de toute façon – c’est notre devoir aussi de scientifiques – que de donner notre parole à nous. Peut être qu’on a été aussi un peu trop frileux à une époque parce quand on est scientifique ne communique quand on est sûr de quelque chose. Et c’est vrai que finalement, toute la pré-alerte d’il y a 30 ans – on parlait peu de changement climatique – on entendait peu les scientifiques sur ce sujet là parce que ben voilà, on commençait seulement à comprendre un peu ce qui se passait. Donc peut être il n’y a pas eu de warning. En tout cas, les messages n’ont pas été portés assez haut, à la fois dans les médias ou vers les décideurs, même si la communauté scientifique commençait vraiment à diffuser des résultats. Mais peut être qu’on les a pas assez diffusés à cette époque là. Aujourd’hui, c’est de notre devoir. Encore une fois, je travaille sur ce sujet. Je le vois évoluer au quotidien, je le mesure, je le quantifie. Donc je sais dire aujourd’hui qu’effectivement les glaciers disparaissent parce qu’on observe ça, lié aux changements climatiques dans nos régions. 

C‘est notre devoir, quel que soit le moyen de média, d’aller continuer à dire ce qui se passe, à défendre ce qui se passe. Alors c’est toujours quelque chose qui est extrêmement difficile parce que quand on est scientifique, on donne des résultats, on est aussi citoyen. Donc quelle est notre part d’engagement ensuite derrière ? Parce que nous on traduit pas en mesures publiques. Je veux dire, le fait de s’engager pour le climat, c’est qu’on laisse souvent ça aux décideurs. Et c’est cette jonction entre les deux qu’on aimerait peut être parfois plus activer en disant « moi je vous montre ça, qu’est ce qui se passe en face ? » Et cette relation entre les les décideurs, les élus et la science. À mon avis beaucoup d’élus en ont conscience et commencent vraiment à lire les documents, à s’en imprégner, etc. Mais peut être qu’il y a encore plus de liant à faire sur ce lien science-décideurs.

EW

Évidemment, et ça pose la question effectivement du militantisme qu’on peut avoir en tant que chercheur dans le domaine public ou pas.

DS

Exactement. Et du rôle qu’on a chacun. De toute façon on est tous citoyens et donc on est forcément tous et on sera tous impactés. Donc il y a un moment où quand on a la connaissance de certaines choses. Moi j’enseigne à l’université à Grenoble, alors souvent mes étudiants, à la fin, ils me disent « mais vous êtes encore positive ? »

Et j’ai envie de dire « oui ! » parce que bien sûr que moi j’aime ces glaciers de montagne. Ceci dit, si nos glaciers dans les Alpes là disparaissaient typiquement, il n’y aurait pas non plus un bouleversement de la vie des populations dans les Alpes. Il y aurait des changements, je dis pas, mais comparé à d’autres régions du monde où là on sait qu’il va y avoir des bouleversements énormes pour les populations. C’est pour ça, je dis que pour moi il faut rester optimiste parce qu’on a encore des choses à faire. Et donc voilà, c’est vers ces personnes là surtout auxquelles je pense et je pense que réellement sur Terre, il y a toujours eu la nature, elle a beaucoup évolué, là, elle évolue énormément, j’allais dire parfois dramatiquement, dans certaines régions. C’est sûr que d’ici 50 ans, 60 ans, si on voit plus de glaciers, ça ne sera qu’un beau souvenir et c’est très dommage. Mais il reste encore toute une partie de cette nature et le reste de cette nature, il va falloir la préserver avant qu’il soit trop tard !

EW

Une dernière question pour la route et pour se donner un peu de baume au cœur, est ce que tu peux nous raconter une aventure que tu as vécu toi, sur un glacier un jour pour ton travail ou un joli paysage ?

DS

Il y a un glacier que j’affectionne particulièrement qui est le glacier de Saint Sorlin, donc il est dans le massif des Grandes Rousses dont je parlais tout à l’heure, qui n’est pas très loin de l’Alpe d’Huez. C’est une promenade qui est absolument magnifique pour aller voir ce glacier qui est accessible à tous. Il faut marcher quand même un petit peu. C’est juste de dire qu’aujourd’hui on peut aller voir ces glaciers et même monter dessus là sur le bas du glacier parce que c’est relativement facile et accessible. Ça nous donne une vue sur tous les autres massifs qui est juste exceptionnelle. Donc j’apprécie énormément ce glacier. Des aventures, on en vit à chaque fois qu’on va sur le terrain. Finalement, c’est quand même toujours une petite aventure, une petite aventure humaine parce qu’on y va jamais seul, qu’on emmène des gens, des gens parfois qui sont très aguerris, sur la marche en montagne, d’autres qui le sont beaucoup moins.

On reste parfois deux jours, trois jours, quatre jours. Et je crois réellement, en tout cas moi, ce qui fait la force à la fois de ma recherche et de ce laboratoire, c’est justement toutes ces missions de terrain. Parce qu’avec les gens à porter des charges parfois très très lourdes, à être très très fatigués, à dormir dans des cabanes où dormir sur le glacier : ça crée une cohésion au sein de ce laboratoire qui, je trouve, est vraiment très particulière. Et finalement, c’est voilà… mon aventure. C’est pas d’être tombé dans une crevasse. C’est plus cela l’aventure humaine que sont les mesures de terrain, la biologie et quelles qu’elles soient, pour les mesures au Népal, que ce soit pour les mesures en Antarctique, quand on part très longtemps, etc. Il y a une vraie aventure, une vraie aventure humaine.

C’est des vrais moments de partage et ça c’est quelque chose que j’aimerais garder. Et allier la glaciologie à l’amitié finalement.

Remerciements et ressources cliquables

EW

Merci beaucoup Delphine d’être venue à ma rencontre aujourd’hui, c’est vraiment super intéressant.

DS

Merci Emilie, J’ai passé aussi un très très bon moment.

EW

C’est génial ! Je vais arrêter de dire réchauffement climatique mais je vais dire changement climatique. Je m’y engage et j’engage aussi nos auditeurs et auditrices à faire de même. Où est ce qu’on peut suivre tes travaux ou les travaux du labo ? En termes de médiation, si on a des auditeurs auditrices, là, qui veulent lire un peu, regarder des choses, comment est ce qu’ils font ?

DS

Il y a un site web pour le Laboratoire. Et moi, en l’occurrence, je suis responsable donc de l’Observatoire de suivi des glaciers. Donc je parlais des Alpes. On travaille aussi dans les Andes, en Himalaya et en Antarctique : il s’appelle GlacioClim. Il y a un site web qui décrit les observations. Il y a aussi des choses un peu grand public, avec des articles, des posters, etc. Il y a même toutes les données. Si vous avez l’envie d’aller voir de combien a reculé la Mer de glace l’année dernière, vous pouvez Il y a toutes les mesures, il y a toutes les observations, les techniques de mesure. Donc il y a vraiment le site web de glace au climat qui est là pour ça aussi, même si y a des choses un peu techniques, il y a aussi des choses de très grand public j’allais dire.

2 réponses à “Glaciers alpins : rencontre avec Delphine Six”

  1. […] Dans Le Camp de base, j’ai reçu Delphine Six, glaciologue à l’Institut des Géoscience… Dans cet épisode, elle m’a raconté son quotidien de chercheur en glaciologie, la science qui étudie les glaciers. Mais pourquoi sont-il si importants ? […]

  2. […] n’avez-vous jamais entendu parler de Joseph Vallot. Pour ma part, c’est la glaciologue Delphine Six qui m’a raconté la première son histoire au micro du Camp de bas… Pourtant cet homme et sa vie sont fondamentalement liés à la recherche sur les glaciers, ces […]

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :